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Expérience de lectrice : Belle du Seigneur, d'Albert Cohen

Lire Belle du Seigneur, c’est être prêt à se faire emporter par les frissons d’une tragédie moderne. On y entre discrètement, timidement tenté par ce roman d’amour dont on nous parle tant, on joue le jeu et on est piégé, inévitablement piégé. Mille cent pages plus tard, on en ressort la tête vide, si ce n’est terriblement écœuré. Mais comme le dit François Nourissier : « Soyons francs : le jeu en valait la chandelle » !

Albert Cohen, écrivain suisse, fait publier ce chef d’œuvre  en 1968. On peut dire que le succès opère : la même année, il reçoit le grand prix du roman de l’Académie française. Troisième volet d’une tétralogie composée de Solal (1930) et de Mangeclous (1938), ce roman nous renvoie dans le Genève des années 1930’, pendant l’entre-deux-guerres, période à laquelle la première ébauche du récit est rédigée. On assiste alors à de longues descriptions, rythmées par une ironie sarcastique, de l’atmosphère sociale, tout en suivant le quotidien d’Adrien Deume, jeune employé belge de la Société des Nations  qui ne jure que par l’importance d’avoir des « relations ». Et pourtant, s’il savait, ce jeune naïf, que derrière ces dîners, cocktails et réceptions qu’on organise entre personnalités haut placées, se dégage une infâme lâcheté où les masques se multiplient ! Et pire…S’il savait que son ascension sociale n’était autre qu’un artifice permettant  au grand Solal – sous-secrétaire général de la Société des Nations-  de lui voler sa femme, la parfaite Ariane d’Auble !

C’est ainsi qu’un amour passionnel se tisse subrepticement entre Solal et sa Belle, loin du regard d’Adrien Deume, envoyé exprès en mission aux quatre coins du monde pendant plusieurs mois. Le temps pour les deux amants de goûter au délire sublime des débuts… Le temps pour le lecteur également de savourer cet amour si parfait qui s’installe, de constater l’obsession grandissante d’Ariane pour son Seigneur, le cynique et séduisant Solal des Solal. Obsédée par son élégance, obsédée par son devoir de rester aussi splendide qu’au premier rendez-vous, obsédée de bannir à tout prix tout borborygme, tout éternuement ou toute situation quotidienne qui viendrait souiller cette perfection : c’est ce qu’elle nous livre dans ses monologues intérieurs interminables, des dizaines de pages dépourvues de ponctuation ou de paragraphes. La seule solution ? Se laisser porter.

Mais derrière cette recherche absolue d’un amour de cristal, les prémices d’une grande déchéance s’esquissent à l’horizon. Derrière cette liaison divine, un refus de la Vérité, des non-dits, une ambiance qui s’obscurcit : l’Ennui, la violence, les frémissements, une passion désormais morbide. On est happé par les pages, on a peur que tout explose ! A force de vouloir trop s’aimer, ne marchent-ils pas tout droit vers la destruction ?

                                                                                                         Armance


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