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Fleurissez votre été avec Tatiana de Rosnay
“Moments like this are buds on the tree of life. Flowers of darkness they are.” (Des moments comme celui-ci sont des bourgeons sur l’arbre de la vie ; ce sont des fleurs de l’ombre) - Virginia Woolf -
Les Fleurs de l’ombre, le dernier roman de Tatiana de Rosnay, tout juste sorti en février 2020, retrace le parcours d’une romancière d’une cinquantaine d’années, Clarissa Katsef. Suite à une découverte traumatisante, elle prend la décision de quitter son mari et part à la recherche d’un nouveau logement. C’est alors qu’on lui parle de la résidence CASA, un complexe flambant neuf possédant un système de sécurité très puissant. Y sont seulement admis quelques élus, des artistes divers aux profils atypiques. Clarissa postule pour s’installer là-bas et est surprise que sa candidature soit retenue. En pensant que cet endroit sera parfait pour amorcer un nouveau roman, peut-être se décide-t-elle trop vite. Victime de la sensation oppressante d’être épiée, elle ne parvient plus à écrire. Pourquoi son chat tressaille-t-il sans cesse alors qu’il n’y a personne d'autre qu'elle dans la pièce ? Qui se cache derrière Mrs Dalloway, son assistant virtuel programmé de manière un peu trop personnalisée ? Est-elle victime de son imagination ou d'autres pensent-ils comme elle ?
Tatiana de Rosnay est une romancière franco-anglaise : ceci lui impose de choisir une langue au début de la rédaction de chaque ouvrage. La décision qu’elle a prise pour Les Fleurs de l’ombre est particulièrement intrigante puisqu’elle a choisi d’écrire ce roman simultanément en anglais et en français ! C’est une expérience inédite dont l’auteure nous fait part au sein de l’histoire, insérant les réflexions de la protagoniste qui se confronte au même défi. La question se pose alors : est-il différent d’imaginer en français ou en anglais ?
Ce livre revêt un autre intérêt littéraire, celui de proposer une réflexion sur les œuvres de Virginia Woolf et de Romain Gary. Chaque chapitre s’ouvre avec deux citations de ces auteurs, qui annoncent non sans un certain mystère la teneur de ce qui va suivre. Le choix de ces deux écrivains est loin d’être anodin, Clarissa leur vouant une sorte de fascination. Elle s'intéresse aussi à l’empreinte laissée par les deux écrivains dans leur lieu de vie.
La description d’une société dystopique au sein de cet ouvrage pose aussi question. On pourrait presque comparer cette atmosphère avec celle qui règne dans Fahrenheit 451 de Ray Bradbury. Plus personne n’écrit ou ne lit de livres et se contente d’images virales publiées sur les réseaux sociaux, toujours plus violentes, des attentats qui défigurent le monde et ses monuments historiques ; les habitants perdent de leur autonomie et de leur liberté, infantilisés par un assistant virtuel très personnalisé. Ce roman met ainsi en garde contre l’Intelligence Artificielle. Initialement conçus pour nous assister, les outils développés semblent pouvoir être facilement à l'origine de dangereuses dérives. Ce livre met ainsi en évidence la menace qui pèse sur notre intimité et sur notre jugement. Le seul domaine qui résiste encore à l’Intelligence Artificielle dans ce livre est celui de la création artistique, un mystère que les scientifiques ne parviennent pas à percer.
Voici maintenant un court passage du début du roman, qui reflète le sentiment qu’un lecteur peut éprouver en refermant le livre.
Clarissa vient de postuler pour entrer à la résidence CASA et est reçue pour un entretien. La personne chargée du recrutement des artistes lui demande d’aborder son rapport à la création artistique.
“Elle tenait à leur dire une chose : pour elle, un artiste n’avait pas besoin d’expliquer son œuvre ; si le public ne comprenait pas ou passait à côté, c’était son problème. Pourquoi un artiste devrait-il se justifier ? Sa création parlait d’elle-même. Des lecteurs lui demandaient de temps en temps d'expliquer la fin de ses livres. Cela la faisait rire, pleurer parfois, ou la mettait dans une rage folle. Elle écrivait pour inciter à réfléchir, et non pour donner des réponses.”
