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Interview de Thierry Bizot
Pouvez-vous nous résumer votre parcours en quelques mots, les études que vous avez faites et la création du groupe Eléphant ?
“J'ai fait une prépa HEC, puis l'ESSEC. J’ai ensuite fait mon stage militaire dans la marine, à Rome, pendant lequel j’ai écrit mon 1er roman que j’ai publié en rentrant en France. Après, j'ai été travailler chez L'Oréal pendant 8 ans pour y faire du marketing.
On m'a nommé patron de la filiale en Belgique, à Bruxelles. Et là, je me suis rendu compte que je n'étais pas fait pour être patron. Moi, ce qui m’amusait, c'était surtout de lancer et créer des choses. Je suis donc rentré en France. J’ai quitté l’Oréal, j'ai trouvé un job chez M6 comme directeur de l’unité musique et divertissement. Au bout de 5 ans, avec mon ami Emmanuel Chain, on s’est demandé pourquoi on ne deviendrait pas nous aussi producteurs, pour des chaînes plus grandes comme TF1 ou plus petites comme Paris Première, en voyant arriver des producteurs extérieurs qui venait nous présenter des idées d'émissions qui avaient l’air super mais qui n'étaient pas fait pour M6.
On a donc quitté M6 et on a fondé Éléphant & Cie fin 1999. On l’a appelé Eléphant parce qu’un de nos films préférés, c'était Un éléphant, ça trompe énormément. Assez vite, au bout d’un an, on a réussi à faire une émission, 7 à 8, qui nous a quand même bien lancés, parce qu'elle est toujours à l'antenne, sur TF1, depuis maintenant presque 20 ans. On a lancé le département fiction avec Fais pas ci, fais pas ça, qui a duré 9 ans. Même si la première saison n’a pas marché en France, France 2 a eu le courage de dire qu'ils étaient sûrs que c'était bien et ils ont continué la série. Ça s'est mis à marcher quand on est passé du samedi après-midi au mercredi soir en prime time. Et puis, il y a un an et demi, deux ans, on a rencontré un groupe beaucoup plus grand que nous, qui s'appelle Fimalac Webedia qui a pris des participations dans la boîte.”
Le fait de de passer d'un gros groupe comme M6, à vous lancer dans l'inconnu, vous a-t-il fait peur ?
“J’étais plutôt d'un naturel trouillard, mais j'ai toujours été un étudiant plutôt travailleur. Quand je suis rentré chez L'Oréal, j'étais très content, j’y serais bien resté toute ma vie. Et j'ai quand même préféré tout quitter. Le plus gros saut que j'ai fait, ce n’était pas tellement de quitter M6 pour monter Éléphant, même si ça n’a pas été facile. Ca a plutôt été de quitter l’Oréal et le métier que j'avais pour aller à la télévision, où je ne connaissais rien, de passer de salarié à entrepreneur qui prend des risques. Mon angoisse, ça a toujours été de devenir SDF. Et pourtant, j'ai quitté la sécurité d’un emploi pour un autre, et en plus dans un métier qui est celui de la production, assez insécure, même aujourd'hui après 20 ans. On est une boîte de production qui, finalement, produit assez peu de choses en quantité. Ce sont des choses qui ont beaucoup de valeur.
Il faut savoir aussi que le milieu de la télévision, c'est pas du tout un milieu horrible comme les gens pensent, cynique et épouvantable, mais c'est un milieu qui a une particularité, c'est que vous avez peut-être 200, 300, 400 producteurs, des tout petits et des très gros, et il y a 3 clients, TF1/M6, France Télévision et Canal Plus. Ces clients, c'est eux qui ont le pouvoir. Vous ne pouvez vous fâcher avec personne, parce que vous ne pouvez pas prendre le risque de perdre un seul d’entre eux.”
Considérez-vous l’industrie du divertissement comme un milieu de travail difficile ?
“Vous savez, les boulots, rien n'est facile, et même ce qui a l'air facile ne l’est pas. La meilleure image qu'on puisse avoir, c'est un pianiste qui joue en s'amusant dans un piano-bar vachement bien, qui fume des clopes, qui boit des coups et qui joue. On va se dire que c'est génial, c'est facile. En fait, c'est des heures et des heures de travail pour arriver à cette facilité. C’est vrai aussi pour les présentateurs télé, c'est des heures de boulot pour être à l'aise. Donc rien n'est facile, aucun métier. Et en même temps, c’était pas si difficile que ça. Si on travaille un peu et qu'on aime ce qu'on fait, ça a l'air facile.”
Qu'aimez-vous le plus dans votre métier de producteur ?
“C'est un métier vraiment super, parce qu’on a une page blanche. C'est comme les gens qui achètent une maison toute faite et puis bon, qui vont un peu l'améliorer en faisant des travaux. Avec le même argent, il y en a qui font construire une maison, c'est à la fois agréable parce que vous faites ce que vous voulez, et si c’est pas terrible, c'est vous qui l’avez fait. Le producteur est plutôt celui qui construit une maison sur un terrain vierge. Je me lève le matin, je me demande pourquoi on ferait pas une fiction, avec un super héros, pour TF1. Pourtant, ils ne m’attendent pas, c’est juste moi qui ai une idée.
Quand j'écris un roman, je suis tout seul avec moi-même. C'est agréable, mais c'est un peu inquiétant parce qu'on passe 3 ans avec 200 pages et on ne sait pas ce que ça vaut. Alors que là, on travaille avec des gens et c’est super parce qu’ils ont plus de talent que vous dans certains domaines. Ils vous aident à améliorer votre idée. A chaque fois qu’il y a un nouveau projet, je me dis que je ne suis pas complètement mort.”
Est-ce qu'il y a des messages que vous aimez transmettre au public à travers vos réalisations ?
“On ne pense pas tellement en termes de message. Même quand j'écris un livre, j'ai seulement une histoire. En fait, on s’est posé la question. On s’est rendus compte que dans les 2 cas, que ça soit une histoire vraie ou inventée, on raconte des histoires. Ce qui compte, c'est l'enjeu humain. Qu'est-ce que je ferais à sa place ? L'être humain, pour vivre et pour survivre, n'a pas besoin uniquement de manger, de se protéger, de se chauffer. Il a aussi besoin de produire des récits. Même depuis les grottes de Lascaux. Ils avaient à peine de quoi manger et se chauffer, c’était une vie infernale, mais ils prenaient un temps fou à raconter une histoire et à la peindre sur les grottes. Même Jésus, pour se faire comprendre, raconte des paraboles. On lui pose des questions concrètes, il ne répond pas de la même façon que tu réponds, il répond par une histoire, il invente un récit. C'est marrant comme l'homme, de tout temps, a besoin de récits pour vivre.”
Comme vous avez un peu entamé le terrain de la foi, qu'est-ce qui vous a donné l'envie d’en témoigner à travers votre livre ?
“C’est surtout que moi, je n'ai pas du tout voulu trouver la foi, j'ai freiné des 4 fers, j’étais pas demandeur. Puis j’ai découvert ça, j’étais amoureux de Jésus, et j’avais envie de faire qu’une chose : dire à tout le monde que ça existait, que c’était super et que c’était trop dommage de passer à côté.”
Lors de nombreuses conférences, vous avez vraiment dû vous exprimer devant des plus ou moins grandes assemblées. Que vous apporte le fait de témoigner ?
“À chaque fois que j’y vais, j’ai un peu le trac, je n’ai pas envie. Et puis je repars heureux, joyeux. Dans mon cas précis, je me rends compte que, quand on est converti, il faut se reconvertir sans cesse. C'est comme quand vous êtes en couple ; c’est pas parce que vous vous mariez que c’est la belle vie, souvent ce sont les emmerdes, il faut travailler, il faut s’occuper de son couple et ce n'est jamais vraiment acquis. Même chose quand on est converti, qu'on a rencontré Dieu, il faut se reconvertir, il faut le re-rencontrer, il faut lui parler. Chaque fois que je témoigne, je me reconvertis.”
Je me demandais justement comment vous arrivez aussi bien à nous convaincre de vous porter attention qu'à nous captiver.
“C'est comme les acteurs qui jouent dans une pièce de théâtre 300 soirs de suite la même pièce. On pourrait se dire qu’ils vont se lasser à la fin. Et en fait, ce n’est jamais la même chose parce que c'est le public qui, devant vous, n’est jamais le même. C'est lui qui vous porte. S’il ne vous écoute pas, vous avez envie de vous battre pour qu'il écoute. Et s’il vous écoute, vous avez envie de vous battre pour qu’il continue à vous écouter.”
Est-ce que vous auriez un petit conseil pour les jeunes qui n’osent pas forcément affirmer leurs croyances religieuses, par exemple dans leur groupe d'amis ?
“Je suis d’avis qu'il ne faut se forcer à rien. Ce n'est pas parce qu'on est croyant qu'il faut le dire. Il y a des gens timides et d’autres extravertis. Imaginez que vous avez 2 amis, un qui est très timide, un autre qui est extraverti. Tout d'un coup, la foi leur tombe dessus, à tous les 2 en même temps. Eh bien, vous aurez un croyant timide et un croyant extraverti, parce qu'il faut de tout pour faire un monde. En revanche, si vous avez la foi, si vous avez rencontré cette histoire d'amour, si vous êtes amoureux, ça doit vous apporter de la sérénité, de la joie et de la bienveillance naturellement, parce que vous avez cet amour en vous. Alors, plutôt que de faire la leçon aux gens, il faut leur donner de la joie. Et si jamais il y en a un qui me demande d’où ça me vient, c’est parce que j’ai la foi. Mais si on ne vous le demande pas, n’allez pas embêter les gens avec.”
Mais finalement, reste-t-on quand même assez libres de nous ?
“Alors il faut être très libre, toujours. Il n'y a pas d'histoire d'amour qui vaille sans liberté. Même si vous êtes marié avec 3 enfants, il faut que vous vous sentiez libre. Que ça puisse s’arrêter et que vous partiez, qu’elle parte, qu’il parte. Rien n’est écrit, mais c’est ce qui fait la beauté de l’engagement. On s'engage ensemble, mais on sait que ce n'est pas facile. Si c’était garanti, si on pouvait prendre une espèce de filtre d'amour, comme dans les fables, où, le jour de votre mariage, vous savez que vous serez amoureuse de votre mari et votre mari amoureux de vous jusqu’à la fin de vos jours et que vous serez heureux ensemble, il n’y a aucun intérêt.”
Merci beaucoup à Thierry Bizot pour cette interview.
Interview d'Isaure
