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Sommes-nous plus intelligents seul ou à plusieurs ?


« On est bien plus intelligent à plusieurs que seul » affirme Axelle Lemaire, ancienne secrétaire d’Etat chargée du Numérique et de l’Innovation. En effet, en matière de créativité, l’intelligence collective est souvent plus efficace que celle d’un individu. Il s’agit d’ailleurs de la base du principe du brainstorming. La confrontation avec l’autre est donc souvent formatrice. Comme le disait déjà Montaigne, il faut « frotter et limer notre cervelle contre celle d’autrui ». Nous sommes constamment amenés à trancher et à choisir entre plusieurs options. L’actualité nous montre que l’avenir incertain oblige à décider et à inventer dans le domaine de la santé publique, de l’économie ou encore de l’éducation. Cela remet sur le devant de la scène la question suivante : Sommes-nous plus intelligents et créatifs seul ou à plusieurs ? Notre intuition de penser que nous sommes plus intelligents à plusieurs n’est pas toujours valable. « Certaines situations sont même propices à la bêtise collective » explique Jean Doridot, psychologue. « Réfléchir et décider à plusieurs, ça s’apprend ». Selon lui, l’idée que le nombre rend plus performant n’est pas véridique. Les psychologues se méfient notamment de l’effet de foule mis en évidence par les travaux de Gustave Lebon. Ce sociologue français a en effet expliqué à la fin du XIXème siècle qu’au sein des foules, l’émotion l’emporte souvent sur la réflexion. Les exemples de débordements lors de rassemblements collectifs explicitent la justesse de ses propos.

La psychologie s’est donc intéressée aux groupes de taille plus modeste afin de comprendre comment sont prises les décisions à plusieurs mais aussi comment les erreurs sont réalisées. « Le simple fait de rassembler des personnes compétentes n’additionne pas leurs compétences. C’est même plutôt l’inverse qui se produit » explique toujours Jean Doridot. On peut prendre pour exemple la navette Challenger que le monde a vu exploser en direct en 1986. Les collectifs chargés de donner le feu vert avaient été incapables de reporter le lancement alors que tous les critères d’annulation étaient présents. Les psychologues parlent donc du « biais de la pensée de groupe ». En effet, personne n’a osé aller contre la pensée collective et ce qui était prévu par peur d’être jugé.

Cette idée est explicitée par le professeur Jerry B. Harvey de l’université de Washington qui met en évidence le paradoxe d’Abilène au sein de son ouvrage « The Abilene Paradox and Other Meditations on Management » publié en 1988. Ce paradoxe repose sur l’anecdote suivante. Par une chaude après-midi, au Texas, une famille joue confortablement aux dominos jusqu'à ce que le beau-père suggère de faire un voyage de 85 km pour dîner à Abilène. La femme répond qu’il s’agit d’une très bonne idée. Le mari, bien qu'il ait des réserves en raison de la longueur du voyage et de la chaleur étouffante, pense que ses préférences ne doivent pas être en phase avec le groupe et affirme : "Ça me semble bien. J'espère juste que ta mère veut y aller." La belle-mère dit alors : "Bien sûr que je veux y aller. Je ne suis pas allée à Abilène depuis longtemps."

Le trajet est poussiéreux et long. Quand ils arrivent à la cafétéria, la nourriture est aussi mauvaise que la route. Ils rentrent chez eux quatre heures plus tard, épuisés.

L'un d'eux dit malhonnêtement : "C'était un super voyage, n'est-ce pas ?" La belle-mère explique qu'en réalité, elle aurait préféré rester à la maison. Elle avoue qu’elle a uniquement accepté en raison de l’enthousiasme des trois autres. Le mari explique : "Je n'étais pas ravi par la perspective de ce voyage. Je n'y suis allé que pour vous satisfaire." La femme réplique : "J'y suis allée pour te faire plaisir. J'ai été folle de vouloir sortir par une telle chaleur." Le beau-père finit alors par avouer qu'il a suggéré cette idée uniquement pour divertir la famille qui semblait s'ennuyer.

Le groupe s'assoit en arrière, perplexe d'avoir décidé ensemble de faire un voyage qu'aucun d'eux ne voulait réellement. Ils auraient préféré s'asseoir confortablement mais ne l'ont pas admis alors qu'ils avaient encore le temps de profiter de l'après-midi. Vous l'aurez compris, le paradoxe d’Abilène raconte la façon dont nous nous y prenons pour nous mettre d’accord collégialement sur des décisions que tout le monde pense absurde et motivées essentiellement par la volonté de ne pas rompre l’équilibre du groupe. Cette décision se retrouve dans tous les domaines de nos vies personnelles et professionnelles. Par exemple, le restaurant choisi entre amis dans lequel personne ne voulait déjeuner.

Cependant, ne vous laissez pas abattre ! Il est en effet tout de même possible de tirer parti du groupe. Pour cela, il suffit de s’entraîner et de suivre trois critères. Premièrement, il faut connaître les compétences de l’autre et utiliser la mémoire « transactive » : je n’ai pas la réponse mais je sais que l’autre la connait. Deuxièmement, il faut que la parole circule beaucoup avec notamment des échanges informels. Troisièmement, privilégier des groupes peu nombreux et diversifiés est plus efficace.

L’esprit collectif est le fondement d’un groupe. Il est possible de le créer grâce à l’entrainement collectif et le vécu d’expériences communes. On parle en management de « team building ». On observe que le fonctionnement optimum correspond à des groupes de 3 à 6 personnes.

En résumé, créez un esprit d’équipe solide, appuyez-vous sur les capacités de chacun et communiquez. Si vous arrivez à Abilène, c’est mauvais signe ! Article d’Anaïs Sources : Podcast de Jean Doridot du 23 mai 2020 sur Sud Radio Article de la Vie est large : « Paradoxe d’Abilène : gage de décisions absurdes » datant du 11 juin 2013 Article de Sciences et Vie du 5 février 2018 : « Est-t-on plus intelligent à plusieurs ? » Interview d’Axelle Lemaire du 12 juillet 2018 sur le site de la Tribune

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